La famille du rebelle Jonas Savimbi attaque Call of Duty en justice
Derrière « Call of Duty », une « atteinte à l’honneur » ou une réalité historique ? La justice française a examiné mercredi le recours des enfants de l’ex-figure de la rébellion angolaise Jonas Savimbi : ils estiment que le jeu vidéo à succès représente leur père en « barbare ».
C’est un cas exceptionnel de diffamation dans un jeu vidéo porté devant le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre : trois enfants Savimbi, installés en région parisienne, ont attaqué la branche française basée à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) de l’éditeur américain du jeu de tir à la violence guerrière, Activision Blizzard.
« Choqués », ces héritiers ont découvert par hasard un personnage de chef de guerre à l’effigie de leur père dans l’opus « Black Ops II » sorti en 2012. Sauf que, pour eux, « ce n’est pas papa » : le jeu « réduit l’image de papa à celle d’un homme barbare (…) aimant le sang. Mais c’était d’abord un homme politique, cultivé, diplômé de Lausanne », a déclaré Alleluia Savimbi, 38 ans, avant l’audience.
Un homme controversé
Avant les hostilités, il y a d’abord eu une « démarche amicale », des réclamations à l’éditeur restées lettres mortes. Aujourd’hui, ils demandent le retrait de la version du jeu incriminée et un million d’euros de dommages et intérêts. Mais « surtout une réhabilitation de l’image » de leur père, a insisté auprès de l’AFP Cheya Savimbi, d’autant plus que cet ingénieur de 42 ans a lui-même été pris dans une rue angolaise pour le personnage du jeu. Seigneur de guerre aussi charismatique que controversé, Jonas Savimbi a dirigé d’une main de fer les rebelles de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), lors du conflit contre le colonisateur portugais puis lors de la guerre qui a déchiré le pays à partir de 1975. Longtemps allié des Etats-Unis face au régime procommuniste du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), sa mort au combat en 2002 avait mis un terme à 27 ans de guerre civile.
Affaire « symbole »
Dix ans plus tard, Savimbi refait surface en allié du héros de « Call of Duty », Alex Mason, dans une courte séquence où il apparaît dans le feu des rafales ennemies, haranguant ses troupes depuis un char, lance-grenades à la main, au cri de : « Il faut les achever ! » « Une présentation particulièrement négative », a déploré à l’audience Me Carole Enfert, l’avocate des enfants. « Certes ce fut un chef de guerre, mais parallèlement un leader politique » sur l’échiquier de la Guerre froide, « l’ami de Mandela, Bush, Reagan », a-t-elle plaidé. « Est-ce qu’un jeu peut sans votre autorisation vous représenter dans un scénario imaginaire, avec votre nom » et « voler votre image » ? Pour l’avocate, cette affaire « symbole » pose la question du champ d’application de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, déjà adaptée à internet, mais pas aux jeux vidéos.
Pour le camp d’en face, « Call of Duty », « oeuvre de fiction », incarne la « liberté d’expression ». « C’était un chef de guerre, il n’y a pas de contestation possible, on ne présente rien d’autre qu’une page de l’histoire à laquelle Savimbi a participé », s’est défendu Me Etienne Kowalski, avocat d’Activision, avant de contester les « demandes excessives » du clan Savimbi. « La ressemblance (de Cheya) n’a rien à voir avec le jeu mais avec la génétique ». « Des scènes d’égorgement ? » « Il n’y en a pas ». L’intention de nuire ? Savimbi est présenté « sous un jour favorable », venant à la rescousse du héros, fait-il valoir. Quant à l’action de la famille, elle était, selon lui, prescrite. Le tribunal rendra sa décision le 24 mars.